Les pirates sont prévenus,
Nicolas Sarkozy veut instaurer un « Internet civilisé ». Vendredi, le
Président de la république s’est félicité de la signature, à l’Elysée,
d’un accord entre les pouvoirs publics, les prestataires techniques et
les ayants droit, sur les mesures à prendre pour endiguer le piratage.
« Cet accord, il est équilibré, il est solide », a estimé Nicolas
Sarkozy, qui assimile le piratage à « des comportements moyenâgeux où,
sous prétexte que c’est du numérique, chacun pourrait librement
pratique le vol à l’étalage ». Cinq points, objets de vifs débats,
méritent un éclaircissement.
1. L'envoi de messages d'avertissements
« Sur plainte des ayants droit [une autorité publique] enverra sous
son timbre, par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès à Internet,
des messages électroniques d’avertissement au titulaire de l’abonnement
», dit l'accord.
Les messages d’avertissement, « c’est l'idée du permis de conduire:
si vous faites n'importe quoi avec votre voiture, on va finir par vous
enlever votre permis », commente Pascal Nègre, président d’Universal
Music France. Selon Jean-Yves Mirski, délégué général du syndicat de
l'édition vidéo (SVEN), des études américaines « parlent de 70% des
gens qui arrêtent au premier avertissement ».
Les fournisseurs d’accès à Internet ne voulaient cependant pas
hériter du rôle de gendarme. Finalement, c’est bien une autorité
publique – probablement l’autorité des mesures techniques de
protection, déjà instaurée –, « placée sous le contrôle du juge », qui
préparera les envois. En revanche, les messages seront bien expédiés
par les FAI. Ces derniers devront aussi « mettre en œuvre les décisions
de sanction ». Dans le cas contraire, l’autorité publique pourra user
de ses « pouvoirs de sanction » qui restent encore à préciser.
2. Une coupure d'abonnement en cas de récidive
« En cas de constatation d’un renouvellement du manquement,
[l’autorité publique] prendra, ou saisira le juge en vue de prendre,
des sanctions à l’encontre du titulaire de l’abonnement, allant de
l’interruption de l’accès à Internet à la résiliation du contrat
Internet », avertit l'accord
Ce point est largement contesté par les associations de
consommateurs. Il reprend en effet l’un des mesures de la riposte
graduée de la loi Dadvsi, qui a été retoquée par le Conseil
constitutionnel. Concrètement, les fournisseurs d’accès à Internet vous
être contraints de suspendre, voire de résilier, les abonnements en cas
de piratage répété. Tandis que les internautes punis, fichés dans une
liste noire, ne pourront plus se réabonner. Cette sanction ne remplace
pourtant pas les poursuites pénales pour contrefaçon (3 ans de prison
et 300 000 euros d’amendes).
Ce point déchaîne les opposants à l’accord. L’UFC-Que Choisir, qui
dénonce une « surenchère répressive », juge la disposition « contraire
à plusieurs principes constitutionnellement garantis », comme la
présomption d’innocence. Cette disposition, qui doit encore être
éclaircie, serait en outre « contraire à toutes les garanties
procédurales prévues au niveau européen par la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et notamment le droit à toute personne
qui fait l’objet d’une accusation en matière pénale de bénéficier d’un
procès équitable ».
3. Le filtrage des contenus
Les FAI s’engagent, « dans un délai qui ne pourra excéder 24 mois, à
[...] collaborer avec les ayants droit sur les modalités
d’expérimentation des technologies de filtrage des réseaux disponibles
mais qui méritent des approfondissements préalables, et à les déployer
si les résultats s’avèrent probants et la généralisation techniquement
et financièrement réaliste. »
Clairement, les Français n’échapperont pas au filtrage du «
peer-to-peer ». Cet engagement des fournisseurs d’accès est « important
», a d’ailleurs souligné Nicolas Sarkozy. Pourtant, c’est encore le
flou total. La ligue Odebi, comme d’autres associations d’internautes,
s’oppose à cette mesure « liberticide » et souligne que les pirates
peuvent de toute façon crypter les échanges en utilisant une nouvelle
génération de logiciels. Bref, les débats s’annoncent houleux.
Dans le même temps, les ayants droit devront aussi communiquer les
références de leurs contenus pour permettre aux sites tels que
Dailymotion de détecter que la vidéo mise en ligne par un internaute
est protégée. Les technologies existent. Elles sont mises en place
progressivement mais ne sont pas encore totalement fiables. Surtout,
les détenteurs des contenus font preuve d’une certaine réticence, à
l’idée d’ouvrir leur catalogue aux plates-formes.
4. La chronologie des médias
Les ayants droits s’engagent « à aligner, à compter du
fonctionnement effectif du mécanisme d’avertissement et de sanction,
l’ouverture effective de la fenêtre de la vidéo à la demande à l’acte
sur celle de la vidéo physique ».
Mais aussi, « à ouvrir des discussions devant conduire […] à réaménager
la chronologie des médias ».
C’est un grand chantier, dont l’issue est repoussée d’un an. Les FAI
veulent vendre de la vidéo à la demande le plus rapidement possible,
les éditeurs de DVD s’y opposent, tout comme les chaînes payantes,
tandis que les chaînes hertziennes, qui financent également le cinéma,
veulent en faire cesser la diffusion à la demande lors du passage sur
leur antenne. La question semble insoluble et tout repose sur cet
engagement.
5. L'interopérabilité
Les ayants droit s’engagent à rendre « disponible les catalogues de
productions musicales françaises pour l’achat au titre en ligne sans
mesures techniques de protection, tant que celles-ci ne permettent pas
l’interopérabilité ».
C’est une avancée réelle. Les chansons produites en France devraient
être débarrassées de leurs DRM, ces mesures techniques de protection
qui limitent le partage et l’écoute sur des baladeurs incompatibles.
Cette mesure est toutefois tributaire de la mise en place de l’arsenal
répressif. Christine Albanel, ministre de la Culture, espère que les
aménagements législatifs seront « votés avant l'été ».
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